Les Gafa, c’est tellement 2014... Voici venir l’ère des
Natu. Natu, c’est l’acronyme de l’été 2015 ; celui qui réunit les quatre
grandes entreprises emblématiques de la « disruption » numérique :
Netflix, Airbnb, Tesla, et Uber.
Les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) sont toujours bel
et bien là, affichant une santé économique insolente et une surface
financière plus importante que bien des Etats ; néanmoins ces
entreprises font déjà figure de « vieilles » (pensez, Mark Zuckerberg va être papa...) face à l’émergence de la nouvelle génération des géants américains, qui surfent sur de nouveaux modèles.
Cette mutation d’une vitesse spectaculaire du capitalisme à
l’heure numérique affecte l’économie mondiale, la création et la
destruction d’emplois à l’échelle planétaire, l’évolution de nos
systèmes sociaux et du salariat ; ne pas chercher à comprendre le
phénomène, qui n’a plus grand chose à voir avec la part d’idéalisme de
l’économie du partage, condamnerait à le subir.
Les Echos le rappelaient récemment, le quatuor des Gafa « pèse » désormais plus lourd que l’ensemble des entreprises cotées au CAC 40 français !
« L’indice CAC 40 vaut 1 131 milliards de dollars, alors que les Gafa affichent 1 675 milliards de dollars sur la balance ! »
Le poids des Gafa est devenu déterminant à Wall Street.
Uber vaut plus de 50 milliards de dollars.
Les Natu sont encore des nains à côté, mais ils montent
vite. Prenez Uber, le service de VTC qui fait tant parler de lui en
France et dans le monde par le séisme qu’il a provoqué dans l’univers
figé des taxis : la société pèse désormais 51 milliards de dollars, à la
faveur d’un investissement de 100 millions de dollars effectué par
Microsoft (tiens, un acteur de la « nouvelle technologie » d’hier).
Par comparaison, Renault « pèse » seulement 24 milliards d’euros (26 milliards de dollars).
Il y a seulement six mois, Uber ne valait « que »
40 milliards de dollars ! Cette progression ultrarapide d’une société
toujours considérée comme une start-up (elle a été fondée en mars
2009 et n’est pas cotée en Bourse), a toute l’apparence de la bulle,
comme Internet en a généré à intervalles réguliers.
Pourtant, Uber peut afficher une présence mondiale d’autant
plus spectaculaire qu’elle est en passe de réaliser ce que les Gafa ont
raté (à l’exception d’Apple) : une réussite en Chine, où, à coups de
milliards de dollars et d’une alliance avec le géant national Baidu,
elle s’est faite une place « sous le ciel ».
Dans la même veine, Uber vient d’annoncer un investissement
d’un milliard de dollars en Inde, bientôt le pays le plus peuplé au
monde.
Le risque est transféré vers le travailleur
La progression d’Airbnb est tout aussi spectaculaire : il
suffit de voir comment Paris est devenu la ville du monde qui propose le
plus de logements ou de chambres à louer sur la plateforme, au point
qu’au mois d’août l’offre est telle qu’elle fait baisser les prix ; le 3e arrondissement compte désormais plus de nuitées Airbnb que d’habitants.
Rien que dans mon immeuble parisien, j’assiste au défilé des « Airbnbiens » là où les étés précédents étaient largement déserts.
Ces deux acteurs de la (pas si) nouvelle économie ont en
commun d’avoir développé une plateforme technique innovante, un service
apprécié par la génération web, sans pour autant investir dans du
« dur » : Uber ne possède pas de voitures et n’emploie pas de chauffeurs
ou de mécaniciens, et Airbnb n’a pas d’hôtels ni de salariés dans le
monde entier.
L’un comme l’autre ont déplacé le centre de création de
valeur, et transformé les salariés en autoentrepreneurs, pour le
meilleur ou pour le pire.
- Le meilleur c’est la possibilité de travailler à son rythme, selon ses besoins, parfois pour un complément de revenu comme pour la majorité de l’offre Airbnb composée de résidences principales ;
- le pire, c’est la précarité et le transfert du risque vers le travailleur, comme pour une bonne partie des chauffeurs Uber.
Disruption dans l’industrie à l’ancienne
Telsa et Netflix sont d’une autre nature. Tesla, le
fabricant de voitures électriques haut de gamme appartenant à
l’entrepreneur Elon Musk, qui possède par ailleurs SpaceX, le principal
lanceur de fusées privé, a appliqué la « disruption » à l’industrie à
l’ancienne.
Elon Musk est l’une des figures emblématiques
de la nouvelle génération d’entrepreneurs du numérique (il n’avait que
cinq ans lorsque Steve Jobs et Steve Wozniak fondaient Apple en 1976),
ambitieux, prédateur, mégalo, une personnalité controversée qui lui a
permis d’émerger en quelques années dans la jungle des start-up.
Netflix, c’est encore une autre histoire, l’un des rares
acteurs de l’ancienne économie -il diffusait son catalogue de films en
bonnes vieilles cassettes VHS- à avoir réussi à devenir un leader de la
nouvelle avec une plateforme de streaming payante, et désormais
producteur de contenus (House of Cards, Orange is the new black, et
demain Marseille, une série made in France), devenu incontournable.
Netflix compte déjà 65 millions d’abonnés dans le monde, et
s’est donné pour objectif d’atteindre les 180 millions d’abonnés dans
quelque 200 pays et territoires d’ici la fin de la décennie... Certains
pronostiquent déjà que Netflix deviendra le premier « network » au
monde, même si en nombre d’heures visionnées, YouTube reste le roi.
Autres acronymes autres disruptions à venir
L’émergence rapide des Natu donnera naissance dans les
prochains mois, les prochaines années, à d’autres acronymes, d’autres
« disruptions ». On voit ainsi monter celle qui va toucher le monde de
la finance, avec les FinTech, ces applications qui échappent au monde de
la banque traditionnelle.
Lorsque j’ai montré à ma banquière l’annonce, fin juillet,
que Orange, vieil acteur s’il en est mais étranger au monde de la
banque, créait en 2016 sa propre banque en ligne susceptible de faire des prêts immobiliers, elle n’a pu cacher son étonnement et son choc.
D’autres secteurs se préparent également au choc, dans la
santé, l’éducation, et d’autres encore qui se croient à l’abri de
l’« ubérisation ».
Que ce soit avec les Gafa qui restent d’une santé insolente
(Apple fait des bénéfices record, l’action Google est à un niveau
historique, Amazon vient de surprendre Wall Street avec des bénéfices
plus élevés que prévu...), ou les Natu qui montent, ce sont des
entreprises américaines qui règnent aujourd’hui en maître dans une bonne
partie du monde (la Chine échappe à une partie d’entre eux, la Russie
tente de se dégager de leur emprise).
Absence de débat
Ce n’est pas seulement une question de domination
économique : c’est aussi une question de modèle social, voire simplement
de survie. L’absence de vrai débat public sur ces questions suscite
incompréhensions, peurs et colère comme dans le cas d’Uber et des taxis.
Les Européens, trop longtemps passifs voire complaisants, se
tromperaient de combats s’ils cherchaient uniquement à préserver le
statu quo social face à cette déferlante. La montée en puissance de ces
nouvelles logiques vient bousculer un vieux monde qui ne sait plus où se
situe son avenir : il serait temps que le débat devienne aussi
politique.
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