La motivation, pot-au-noir du management
La motivation des salariés est une Arlésienne
(tout le monde en parle, mais elle se défile) ou bien un pot-au-noir
(cette mer périlleuse, même pour les as de la navigation managériale).
Jadis intarissables sur le sujet, les sciences sociales peinent à
décrire un enjeu en pleine mutation. A la motivation classique par la
rémunération s'ajoute de plus en plus la motivation par le sens,
revendiquée par les jeunes générations. Mais surtout, alors que les
politiques de motivation traditionnelles (intéressement, conditions de
travail, formation, etc.) visent le collectif de travail, les nouvelles
doivent désormais cibler l'individu. La haute couture supplante le
prêt-à-porter.
Pour comprendre ce
changement, les neurosciences concurrencent la sociologie. Leurs
porte-drapeaux (Dan Pink, Mihaly Csikszentmihalyi, Richard M. Ryan,
Edward L. Deci…) promeuvent « la motivation intrinsèque » par opposition
à la « motivation extrinsèque ».
Cette dernière, théorisée par Douglas
McGregor dans les années 60, reposait sur la récompense-punition :
l'homme est paresseux, il faut donc lui fixer des objectifs limités et
reconnaître sa performance par des récompenses matérielles. Dans
« Punished by Rewards » (1993), Alfie Kohn démontre qu'en agissant ainsi
l'entreprise se punit elle-même par une performance et une créativité
en berne.
La « motivation intrinsèque », au contraire, satisfait trois
besoins vitaux du salarié, validés par l'auscultation de son cerveau :
son autonomie, son désir d'excellence et la certitude que son travail a
un sens. De ces trois piliers, l'autonomie n'est pas le plus aisé. Dans
un livre stimulant, « Le Mix organisation » (Eyrolles), Jacques Jochem
soutient que l'organisation « holistique » est le Graal vers lequel les
entreprises devraient tendre, « en faisant confiance aux individus et aux équipes pour traiter la complexité interne et externe ».
Mais après quarante ans dans le conseil, cet ancien de Bossard confesse
qu'elles sont encore rares, celles qui font ce pari de l'autonomie.
Accorder une marge de liberté à des individus dans des organisations par
essence collectives et remettre en cause la culture dominante du
tout-contrôle sont deux gageures contre lesquelles viennent buter les
meilleures intentions.
La nouvelle
économie est parée de toutes les vertus pour surmonter ces
contradictions. Comme si l'innovation managériale allait de pair avec
l'innovation technologique. Mais où s'arrête le gadget, où commence la
vraie rupture ? En offrant à ses collaborateurs 20 % de leur temps pour
des projets « libres », Google a su attirer les plus jeunes. Mais le
géant est aussi connu pour sa culture de tribu (de secte, disent ses
détracteurs), dont les rites sont aussi contraignants que de bons vieux
process. Plus modeste, mais non moins convaincant, l'américain Ideo
(consulting) révolutionne sans cesse son organisation pour
responsabiliser ses salariés. La taille, plus que l'activité,
influencerait-elle la motivation ?
Il
serait pourtant illusoire de s'en remettre aux seules organisations pour
doper la motivation. Comme le joueur de puzzle, le dirigeant tâtonne
avant que son management prenne la couleur souhaitée. Ce qui suppose de
réinventer son rapport au temps.
Comme toujours, le sommet doit montrer
l'exemple. Combien de comités exécutifs sont-ils prêts à engager une
réflexion sur la pratique de leur autorité, qui donnera le « la » aux
échelons inférieurs ?
Si les processus et le contrôle forment un carcan
dans les grandes organisations, la bienveillance, la confiance et le
respect que celles-ci sont capables d'accueillir ne représentent-ils pas
des antidotes efficaces au désengagement ?
Pour se sauver de ce
pot-au-noir de la motivation, les comportements du capitaine et de ses
officiers comptent bien plus que la solidité de l'embarcation ou la
précision du compas.
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