Quelles aptitudes développer pour le Manager de demain ?
Taylor n’est pas mort
Les
conditions actuelles sont très éloignées de celles qui ont fondé
l’Organisation Scientifique du Travail au début du siècle précédent.
Pour autant celle-ci a posé différents « marqueurs » encore très
présents dans la pensée managériale : segmentation des tâches,
centralisation des responsabilités, logique dominante du « Command
Control»… Bref, ne sommes-nous pas finalement restés très « tayloriens »
dans nos têtes et rompus à répondre aux problèmes « compliqués » plutôt
qu’en capacité d’agir réellement dans la « complexité »?
Pour
créer de la valeur managériale aujourd’hui et sans doute plus encore
demain, plusieurs aptitudes vont être « mises à l’épreuve ». Mettons ici
l’accent sur celles pour lesquelles les managers sont probablement les
moins préparés.
Une aptitude à créer du « bon vouloir »
A
l’ère où la seule logique du « Command Control » montre ses limites, la
capacité à « faire en sorte que les gens fassent des choses que
probablement naturellement ils ne feraient pas » devient une aptitude
fondamentale de la fonction managériale.
Cela repose sur des
qualités de leadership personnel, qui outre des talents de persuasion,
s’appuie sur une condition première : « être fondamentalement reconnu
comme une personne digne de confiance ». Clarté, éthique personnelle,
capacité à parler vrai, compétences métier sont autant d’ingrédients
nécessaires à la création de cette confiance si difficile à construire
et si facile à détruire.
Une posture de « Servant Leader »
Le
manager de demain puisera son pouvoir, non pas de ses attributs de
position et de statut, mais de sa capacité à créer de la valeur
directement utile pour ses équipes (et indirectement ses clients) en les
aidant à surmonter les obstacles. Cette posture mobilise des
compétences d’écoute, de soutien, de prise de recul, de vision globale
et systémique des situations.
Le manager de demain est un manager «
post-héroïque » qui ne joue pas au général ou au lieutenant-colonel à
la tête de ses troupes. Il est sur le terrain, au service de ses
équipes, animé d’une passion : « réussir à faire réussir ».
« Donner pour recevoir », plutôt que « commander puis contrôler » devient le premier levier de légitimité.
Des qualités d’Agilité personnelle
Quand
il pleut tous les jours dans un été pourri, il ne sert à rien de se
plaindre. Mieux vaut s’organiser ! Dans un contexte économique, tendu,
imprédictible, dans lequel on doit souvent faire plus et mieux avec
moins, la capacité d’acceptation devient une aptitude clef pour laquelle
nous ne sommes pas tous égaux. Elle nécessite une forme de
programmation mentale consistant à se dire : « maintenant que je sais
que…et que je ne maîtrise pas tous les paramètres du problème, quel est
mon objectif et sur quoi puis-je agir directement ? ».
Cette
capacité à se concentrer sur sa zone d’influence, à être résolument
orienté solution et à appréhender l’imprévu et l’incertitude sans peur,
mais avec la curiosité du chercheur face à l’inconnu, sera fortement
challengée dans les environnements contraints et pressurisants.
Davantage
« bricoleur » que planificateur, le manager post-moderne a une approche
de « juste-innovation ». Une innovation non systématique mais créatrice
de valeur et réellement bénéfique pour les parties prenantes. Il sait
construire des solutions en tâtonnant, en expérimentant, en acceptant
les erreurs et en les intégrant comme opportunité d’apprentissage
permanent.
Il sait aussi gérer l’ambiguïté, la multitude de
paradoxes en les appréhendant, non pas comme des problèmes, mais comme
de simples données à traiter.
Une capacité à créer des capacités
Pour
nombre de managers « Ressources » et « Capacités » sont deux notions
équivalentes. Or, les ressources s’achètent, peuvent se copier, voir se
voler. Les capacités constituent une valeur moins marchande, difficile à
acheter ou à copier, mais, comme on l’a vu, elles vont devenir, à l’ère
de l’économie « frugale », un levier de compétitivité déterminant. Dans
cette optique, créer de la valeur par la mise en interaction de
différentes compétences va devenir une compétence clef du management.
Moins hiérarque, plus coordinateur et aiguilleur, le manager
post-moderne est un constructeur d’intelligence collective.
Appréhender la compétition dans une logique coopérative et collaborative
Le
monde de demain reste un monde de compétition. Mais les leviers de
compétitivité changent. La création de valeur par l’intelligence
collective dans des organisations plus transversales et résiliaires
mobilisent des aptitudes à la coopération et à la collaboration.
De nouvelles règles du jeu émergent :
- décider et agir en quête de satisfaction réciproque plus que de résultats.
- rechercher tant en interne qu’en externe un optimum collectif plutôt qu’un maximum de résultats individuels, ceci vis-à-vis de tous les acteurs de son environnement grâce à de multiples conventions renégociables à loisir. Or, la conjugaison d’un contexte fortement contraint et d’un système de management dominant fondé sur la logique d’objectifs individuels invitent davantage au repli sur soi qu’au jeu collectif.
La
capacité à dépasser les inévitables zones de conflits d’intérêts propres
aux organisations matricielles par de réelles aptitudes à la
négociation est fortement « challengée ».
La maîtrise des outils
collaboratifs pour agir dans des organisations éclatées et selon des
logiques asynchrones devient une compétence de base, au même titre que
la maîtrise d’un tableur Excel aujourd’hui.
Savoir donner du sens dans le brouillard
Devant
le niveau d’imprédictibilité de l’environnement, les méthodes
rationalisantes de planification stratégique ou encore de scénarii
montrent leurs limites.
Pour autant, la quête de sens des équipes
est bien présente et le management ne peut se soustraire à ce besoin
fondamental. De nouvelles méthodes, de nouveaux outils sont à inventer
pour embarquer les personnes et apporter de la sécurité dans
l’incertitude.
Posons l’hypothèse que le vrai patron de demain ce
sera le projet et les valeurs qui constituent des balises stables dans
un environnement qui ne l’est pas. Il s’agira de construire un pacte
avec « sa tribu » en maîtrisant l’art de la frugalité dans un contexte «
néo-artisanal ». Il s’agira de partager une intention collective fondée
sur de vrai choix : ce sera fromage ou dessert, mais pas les deux.
Cette
intention sera davantage une signature collective, communautaire qui
donne le sens d’une aventure commune plutôt qu’un business plan, des
objectifs et des chiffres.
Bien sûr la pertinence de cette
intention ne peut s’appuyer exclusivement sur l’envie et l’intuition
personnelle. Elle prend racine dans la capacité à capter des signaux
faibles, des bruits lointains de l’environnement qui présagent la
réalité de demain. L’intention, le projet de la tribu doit être
réinterrogé en permanence. Pour ce faire, la logique de veille continue
devient une capacité majeure à cultiver.
Concilier exigence et bienveillance
Le
manager de demain sera un être complet, conjuguant à la fois une
orientation résultats et un souci constant du bien-être de ses
collaborateurs. Parce que l’engagement passe par là et parce que l’enjeu
de « réputation d’entreprise » sera de plus en prégnant, les
indicateurs de climat deviendront aussi « critiques » que les
indicateurs de résultats économiques et financiers.
Dans ce
contexte, l’intelligence émotionnelle, la capacité à mieux comprendre et
appréhender ses émotions et celles des autres devient un critère clef
d’appréciation des aptitudes à l’exercice de la fonction.
La
capacité à apporter plus de reconnaissance avec probablement moins de
leviers (économiques) constitue un défi que seuls les managers ayant su
développer des qualités de réceptivité et de cœur sauront relever.
Etre résilient au stress
Savoir
se préserver et conserver du recul face à la pression constituent des
aptitudes clefs à mobiliser. L’accélération des rythmes professionnels,
la multiplication des flux d’information, la pression constante mettent
le management à rude épreuve et augmente les risques d’épuisement
professionnel.
Comme un sportif de haut niveau, la réussite du
manager de demain repose sur sa capacité à préserver un équilibre de vie
personnelle, mais aussi une forme d’entraînement de l’esprit pour, non
pas faire face aux évènements, mais faire avec.
Posons l’hypothèse
que des pratiques telles que la méditation, le « mindfullness » (la
pleine conscience), feront demain partie de la « boite à outils » du
manager.
L’innovation managériale : nouvel enjeu de compétitivité
Parce
que le business se fera différemment, le management s’exercera
différemment. Il s’agit de construire de nouveaux modèles, de nouveaux
systèmes et aussi de nouvelles compétences. La construction de ces
compétences devra se faire selon des modalités cohérentes et alignées
sur les composantes qui structurent le nouvel environnement : elles
seront pour une bonne part collaboratives, digitales, et laisseront une
grande place à la dimension « soft skills ».
Il s’agira aussi de
désapprendre, sortir des croyances qui ont guidées l’action managériale
dans une économie industrielle, pour apprendre à composer avec une
nouvelle donne nécessitant de nouvelles grilles de lectures.
Le chantier est immense, encore en gestation, mais ouvre un champ du possible enthousiasmant pour qui croit en l’Homme.
Par Christophe Perilhou le 27 octobre 2014
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