Viser le « zéro risque » : un maxi-risque !
Le risque est une donnée à appréciation variable ; tantôt inquiétant
ou paralysant pour les uns, il est l’indispensable moteur pour d’autres.
A sa simple évocation les personnalités s’expriment, distinguant sans
grimage les joueurs et les prudents, les fonceurs et les patients, les
optimistes et les résignés… Le risque est présent partout, dans tout, et
presque à chaque instant : dans chaque décision prise, dans chaque
renoncement que l’on s’autorise, dans chaque surprise aussi que parfois
la vie réserve. Toute la différence vient donc de celui qui le choisit.
Et pour certains, le risque n’est acceptable qu’entièrement circonscrit.
Créer une entreprise est évidemment une décision qui se prépare, se
réfléchit et se mûrit. Rares sont ceux d’ailleurs qui ont fait de leurs
improvisation et impréparation une réussite. Mais vouloir faire de son
projet d’entreprise un parcours balisé et certain parait bien illusoire,
tant la vie s’ingénue à modifier les plans. En usant de la métaphore
nautique, ce serait comme partir pour un tour du monde à la voile sans
considérer les risques de casse matériel, la météo capricieuse, le moral
qui tangue au gré des nouvelles favorables et des incidents, les bonnes
rencontres des escales qui désorganisent le calendrier et redessinent
la feuille de route. Ce serait aussi et surtout refuser ce qui fait le
sel de l’aventure entrepreneuriale : l’imprévu et ses conséquences, les
possibilités de revirements et les nouvelles destinations.
En voulant border à tout prix son risque, le porteur d’un projet
d’entreprise va contre la définition même de l’entrepreneuriat : une
histoire dynamique qui s’écrit au fil du temps changeant. En affichant
son conservatisme, sa réticence ou ses craintes, il suscite
l’interrogation, parfois malgré lui, chez ceux qui l’observent : Quelle
sera sa capacité à affronter les épreuves lorsqu’elles surviendront sans
avoir été anticipées ? Quelle sera sa disposition à se montrer agile et
à reconsidérer les choix passés, donc à se mettre en risque, si
l’activité ne démarre pas comme prévu ? Et quel temps lui faudra-t-il
pour opérer ce changement, sous-entendu, devra-t-il une nouvelle fois
s’accorder le temps long de l’analyse approfondie avant d’être en mesure
de décider ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la quête du zéro risque est donc un vrai risque en soi.
Celui de ne jamais se lancer tout d’abord, car border les risques
c’est avoir conscience des risques. C’est donc prendre leur pleine
mesure, et réaliser à quel point la ligne du danger va être souvent
frôlée… Or questionnez les ces entrepreneurs qui ont tenté l’aventure.
Leur message est unanime : « Il faut être inconscient pour entreprendre
et accepter le lot des difficultés à résoudre ». Ignorer ce vers quoi on
tend a donc aussi ses vertus.
Celui de perdre du temps et de rater le « Time To Market », en laissant passer le wagon de la bonne opportunité. Les signaux faibles que l’entrepreneur perçoit, et qui inspirent les bonnes idées,
sont des denrées périssables. Ne pas les exploiter par excès d’analyse
et de prudence, c’est assurer son entrée sur un marché saturé, avec une
idée déjà devenue obsolète.
Celui d’être distancé par d’autres qui ne se questionnent pas autant.
Trois catégories d’acteurs économiques cohabitent et opèrent sur un
même marché : ceux qui respectent scrupuleusement les règles ou restent
dans le cadre en reproduisant les habitudes ; ceux qui franchissent
allègrement la ligne jaune et se font rattraper par la « patrouille »,
ou sanctionner par un marché qui n’exprime aucun besoin pour le produit
ou service commercialisé ; les autres enfin, qui naviguent dans la zone
grise de la transgression intelligente, qui défrichent, comprennent,
apprennent, et se mettent en situation d’être réactifs, agiles et
performants.
Celui encore d’être perçu comme un entrepreneur à contre-emploi par
ceux qui lui font confiance : partenaires, investisseurs, salariés, etc.
Être entrepreneur,
ce n’est pas avoir une idée et la dérouler de façon « scolaire » et
mécanique. Être entrepreneur, c’est avancer en territoire instable, être
à la manœuvre, analyser, comprendre, s’adapter vite et trouver des
solutions pour lutter contre les vents contraires. C’est avoir pour
métier la responsabilité individuelle du dirigeant dans un contexte de
risque permanent. Une responsabilité tellement importante que l’on a
créé des structures juridiques pour en limiter la portée en cas de
défaillance (SARL, SA, SAS, etc.)
Il est vrai que vouloir tout border peut être une bonne excuse. Celle
qui permet de couvrir les incertitudes, la peur parfois aussi, de se
lancer vers cet inconnu à la fois exaltant et impressionnant. Le risque
zéro comme condition indispensable du lancement permet ainsi d’en
repousser l’échéance…
Mais faire de la revue exhaustive des événements futurs une condition
nécessaire pour tenter le grand saut, c’est être assuré d’une chose :
redescendre du plongeoir par l’échelle, tant les conditions du plongeon
sont infinies.
auteur article : Stéphane DEGONDE - 22 août 2014
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