Quand la pratique managériale suscite autant d'espoir que d'agacement
Responsable de déviances au sein des entreprises, la pratique du management agace, déçoit souvent, mais suscite aussi, à tous les échelons de la hiérarchie, quantité d'attentes.
Les
organisations se crispent par temps de crise économique. Et les
critiques se multiplient à l'encontre des modes de gestion des
entreprises. « Problème de management ! », se récrie-t-on à
longueur de temps, à l'intérieur comme à l'extérieur des sociétés. Des
accusations qui pointent non pas le management en tant que discipline -
toute organisation a nécessairement besoin que « ses rênes soient
tenues » (voir encadré) - mais la façon dont les différents échelons
hiérarchiques la mettent en oeuvre. Jugées responsable de nombre de maux
et déviances de l'entreprise, les pratiques managériales suscitent
toutefois aussi beaucoup d'espoirs et d'attentes. Explications de
l'effet attraction-répulsion de la pratique du management en
quatre articulations.
Le management, en tant que discipline, est difficile à définir
« Il est compliqué d'en parler d'une manière synthétique et intelligente », assurait, dans un entretien aux « Echos », Michel Berry, chercheur en gestion à l'Ecole de Paris du management. « Il
y a une telle diversité dans la façon de bien gérer une entreprise !
Sauf à caricaturer les choses en trois formules, ce n'est pas demain la
veille que les experts en management se retrouveront sur les plateaux de
télévision. » Résultat : les voix des consultants, praticiens et
autres professeurs en management pèsent peu face aux discours rodés des
économistes et des banquiers. Alors que, en France, les sciences
économiques disposent d'un paradigme établi depuis longtemps, le
management - discipline jeune dont on se demande encore s'il s'agit
d'une science, d'un art ou d'une simple pratique - oscille encore entre
un cercle de spécialistes aux travaux ésotériques et quelques recettes
navrantes. Un poison pour les directions d'entreprise.
Sa mauvaise pratique provoque quantités de déviances
Le management mal appréhendé serait à l'origine de quantités de dysfonctionnements, des injonctions contradictoires aux « conceptions
les plus absurdes bâties à base de formules incantatoires et de
fixations arbitraires de seuils à dépasser ou non », juge lui-même le penseur des affaires Henry Mintzberg, en qualifiant ces pratiques de « toxiques ».
Du coup, les managers montent en puissance au détriment des chefs - les
vrais, ceux qui commandent, brocarde Guillaume Bigot, directeur général
de l'Ipag et auteur de « La Trahison des chefs » (Fayard), et « on aboutit à un système de valeurs qui érige l'intérêt individuel en loi commune ». Avec, en conséquence, un collectif affaibli au sein duquel « chacun,
quelle que soit sa position hiérarchique, se considère comme un point
nodal fondamental entre ceux du dessous qui ne font pas leur boulot et
ceux du dessus », observe Frédéric Fréry, professeur de stratégie à ESCP Europe.
Condamnation
du même tonneau par le professeur Jean-François Amadieu dans « DRH, le
Livre noir » (Seuil), un ouvrage à charge, mais savamment argumenté et,
avant lui par Jeffrey Pfeffer et Robert Sutton dans « Faits et foutaises
dans le management » (Vuibert). Trop de décisions de dirigeants
reposeraient en effet sur la peur d'être dépassés par un concurrent ou
sur des recettes qui ont fait florès dans le passé ou le mimétisme. Dans
un tel contexte, le récent « Rien ne sert de courir si on n'est pas pressé », inspiré par l'humoriste Pierre Dac et lâché par Jean-François Dubos, le président du directoire de Vivendi, lors de la présentation des résultats annuels, a détonné.
Certains gourous du management « agacent »
Quelques « speakers » et conférenciers mondiaux, portés par leur succès initial semblent détenir la solution à tout. « C'est plutôt la consternation qui nous envahit. […] Une
fois de plus nous voilà dans le monde merveilleux du "Yakafokon
managérial" venu tout droit des Etats-Unis… donc nécessairement
performant ! », s'étaient agacés Sandra Enlart, directrice générale
d'Entreprise & Personnel, et Hervé Laroche, professeur à l'ESCP
Europe, dans une tribune parue dans « Les Echos », suite à un article
relatif au dernier ouvrage de Gary Hamel.
« Poussés à l'extrême, certains concepts peuvent conduire les entreprises à des erreurs toxiques »,
reconnaît Jean-Pierre Felenbok, partner senior chez Bain & Company.
Mais nombre de penseurs, comme C.K. Prahalad, ont au contraire
largement fait avancer le débat et « conduit à une nouvelle grille
de lecture des entreprises, de leur échiquier stratégique et de leurs
enjeux organisationnels », estime Yves Morieux, associé et
directeur de l'institut pour l'organisation du Boston Consulting Group
(BCG) en rappelant que le concept de plate-forme stratégique, créé par
le BCG, est directement hérité des travaux de Prahalad, notamment sur la
notion de compétences.
Chacun attend de la discipline des solutions
La
pratique du management a du bon quand elle fait tomber certains
concepts qu'elle tenait pour intangibles. Quand elle s'abstient
d'étouffer les initiatives et l'innovation et surtout quand elle accorde
toute son importance à l'humain, compliqué par essence. C'est à ce prix
que le management peut apporter au jour le jour des solutions aux
organisations.
La fin du conformisme
managérial n'apparaît aujourd'hui guère évidente au sein d'un
establishment français toujours féru de modèle pyramidal (et guère
transversal) et peu ouvert aux innovations. Il n'empêche. Un besoin de
pensée alternative se fait sentir. Les scientifiques, sociologues et
autres historiens sont appelés à la rescousse pour associer leurs
réflexions à celles des as de la discipline managériale. Le « bon »
management serait capable de réintégrer l'intérêt général dans son
échelle de valeurs et de regarder le réel sans complaisance. Avec
l'objectif, comme le rappelle Frédéric Fréry, de « faire des choses extraordinaires avec des gens ordinaires ».
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