Piloter un projet: quatre leçons de Gustave Eiffel
Plus de 300 m de hauteur, 7 800 tonnes, 12 000 pièces, 2,5 millions de rivets, 36 000 dessins, 26 mois de travaux... et une première mondiale : l'utilisation du fer pour bâtir une tour. Un défi inouï. En 1889, Gustave Eiffel a su le relever avec pragmatisme. Quelles ont été les clés de sa réussite ? L'analyse d'Anne Vermès, dirigeante et fondatrice de Traits d'Unions (1).

Difficile maitrise des coûts, pression des délais,
aléas climatiques, contestations, nouveauté du matériau. L'épopée de la
tour Eiffel a concentré tous les ingrédients qui font déraper un projet
: son maître d'oeuvre a pourtant su lever tous les obstacles grâce à
ses talents de manager. Il s'est même offert le luxe de finir l'ouvrage
un mois avant la date prévue. Voici quatre leviers de sa méthode
transposables en entreprise.
1- Clarifier la commande
Gustave Eiffel a su aller au-delà de la formulation officielle :
faire de la tour le "clou" de l'Exposition universelle de 1889.
Cherchant à saisir les motivations profondes de son commanditaire - le
ministre de l'industrie et du commerce-, l'ingénieur a donc analysé les besoins non exprimés,
en épousant son angle de vue. La situation politique est fragile, la
France doit redynamiser son économie et briller dans le concert des
nations. Il y a donc nécessité d'innover et de rallier la population à
un projet exceptionnel. La prouesse technique n'y suffira pas, la tour
aura donc deux autres fonctions : servir aux expérimentations
scientifiques grâce à sa coupole haut perchée, devenir le monument le
plus visité de Paris, qui plus est avec des entrées payantes.
2- Faire confiance à ses collaborateurs
Gustave Eiffel n'avait au départ aucune idée du type de réalisation qui marquerait les esprits lors de l'Exposition. Il a donc remis le cahier des charges à ses deux ingénieurs d'études en chef qui ont phosphoré librement. Adoptant une posture de pilote de projet, il a écouté et su questionner
leurs suggestions. Plutôt que d'énoncer des "oui mais..." qui
découragent, il a utilisé le "oui et si..." qui stimule. Du coup, il a
poussé les deux hommes à examiner les points faibles de leur projet : la
composition du métal envisagé, sa résistance aux vents violents,
l'esthétique du bâti. Ils ont trouvé le bon matériau et se sont adjoint
la compétence d'un architecte. De même, aiguillonnés par Eiffel, ils ont trouvé eux-même les solutions au problème des fondations reposant sur des marécages : ils ont fait des tests sur des tours miniaturisées.
3- Communiquer à chaque étape
Gustave Eiffel a suscité l'adhésion au projet au fur et à mesure
de son déroulé. Pour ce faire, il a su aux moments charnières repérer
les parties prenantes, pour mieux s'y adapter 1/ Face au comité de
sélection, il a argumenté. Venu avec une documentation technique
détaillée pour les pinailleurs, il a exposé une version synthétique,
pour les autres avec des chiffres précis, l'explication des procédés et
des bénéfices attendus. 2/ Face à ses détracteurs,
il a répliqué par des faits. Il a invité les journalistes dénonçant les
dangers du travail en hauteur et "l'odieuse colonne boulonnée" à
rencontrer contremaitres et ouvriers in situ. En outre, il a inauguré le
1er étage en ouvrant le chantier à tous - presse, professionnels,
collégiens, public- afin d'isoler les opposants.
4- Renforcer la cohésion des équipes
S'il a constitué des équipes "hyper-spécialisées" dans leur
domaine, Gustave Eiffel a donné, dans le recrutement, la priorité à
l'agilité managériale des chefs, capables de travailler en
transversalité. Les deux sites, les ateliers de Levallois qui
concevaient et découpaient les poutrelles et le champ de Mars étaient
reliés entre eux par une navette hippomobile deux fois par semaine pour
les livraisons. Il y avait, une fois par semaine, une réunion inter-sites des cadres sur le chantier. Il a aussi instauré une cantine au 1er
étage, favorisant les échanges entre les travailleurs de la tour. Par
ailleurs, Eiffel savait reconnaitre publiquement les mérites de ses
troupes. Lors des inaugurations, du 1er étage puis de l'ensemble, il a
fait monter d'abord ceux de Levallois, dits "les gars du plancher des
vaches", avant les monteurs, dits " les charpentiers du ciel". Et le
jour "J" chacun des contributeurs reçut une médaille commémorative.
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